Voyage en Inde du Nord – Le désir de connaître l’Inde et Tibet.
Ce ne fut pas un voyage ordinaire au sens touristique habituel où le mot voyage suppose un besoin de changement, de dépaysement plus que de « repaysement » ; et implique au départ le besoin d’échapper pour une courte durée à soi-même et à ses problèmes ou ses démons… que l’on retrouve au retour. Depuis de longues années j’étais habitée par le désir de connaître l’Inde, bien plus que d’autres pays, régions ou villes célèbres par leurs paysages, leur culture ou leur histoire.
L’Inde était liée pour moi au hatha-yoga que je pratique depuis des décennies et ai même enseigné bénévolement ; liée à la spiritualité bien qu’il me paraisse difficile aujourd’hui encore de définir ce terme associé souvent à celui de désintéressement, de pauvreté matérielle, voire dans le cas de l’Inde à la misère.
Plus que la Chine et le Japon et bien qu’elle ait une langue originelle en commun avec l’Occident, l’Inde pour moi était un tout-autre, difficile à adopter par des Occidentaux, à commencer par la nourriture. Des appellations précises : Rishikesh, Bénarès, Agra, voire Chandigarh construite par Le Corbusier, m’attiraient.
Tout en psalmodiant le sutra des repas lors des sesshins zen – « busho kapila… », j’ai rêvé de suivre l’itinéraire géographique du Bouddha, pour l’essentiel aujourd’hui au Pakistan ; je rêvais de l’Himalaya majestueux et des grottes où vécurent des ascètes tels que, Milarepa et encore aujourd’hui des moines ; j’en ai rencontré plusieurs qui se sont installés en Occident, en particulier en Dordogne toute proche. J’avais entendu parler des Pères jésuites Le Sceaux et Deschanel et lu Guy Deleury et l’Américain Thomas Merton ; rendu un petit culte à Allan Ginsberg dont on ne sait pas toujours qu’il était devenu moine bouddhiste après être allé consulter haut dans l’Himalaya des retraitants, qui le renvoyèrent à son pays et à son art de poète.
En littérature j’avais dévoré Kipling et son merveilleux roman picaresque Kim, histoire d’un petit irlandais orphelin d’un père et d’une mère militaires, qui évolue dans divers milieux indigènes plus musulmans qu’hindous, avant qu’un moine bouddhiste finance avec désintéressement des études à l’occidentale qui feront de lui – peut-être – un serviteur de sa très Gracieuse Majesté. Il y a aussi le récit par la très grande poétesse britannique platonicienne Kathleen Raine dans India seen Afar, (inédit en français) de ses voyages en Inde à l’invitation d’une très grande danseuse (dans cette culture le corps et les arts sont très liés à la spiritualité) pour y donner des conférences sur le poète irlandais , Yeats traducteur d’ Upanishads et de la Geeta avec Shri Purohit Swami. J’ai tout un programme de lectures indigènes contemporaines en attente.
Par l’intermédiaire d’un lama tibétain, invité naguère à Bordeaux, et qu’en ma qualité d’angliciste j’ai promené dans les rues et les musées de la ville dans sa grande robe de moine… bordeaux et un ciré jaune vif qui ne nous permettaient pas de passer inaperçus, j’ai adopté une petite « filleule », une gamine au cheveu ras et au regard vif qui habite très haut dans l’Himalaya, dans la superbe vallée du Spitti (que j’ai découverte grâce à un de ces documentaires sur l’Himalaya dont la télévision est prodigue), trop haut située (dans les quatre à cinq mille mètres d’altitude !) pour que j’espère jamais la rencontrer.
Mais grâce à elle je suis entrée en relation avec une association d’aide à la culture tibétaine qui a rang d’O.N.G.. Sise à Pau, l’A.P.A.C.T. a secouru et continue à secourir un très grand nombre d’enfants et d’adultes tibétains réfugiés en Inde dans des conditions d’exil parfois dramatiques et toujours douloureuses.
Cette association, par de très nombreuses manifestations culturelles, oeuvre à faire connaître la culture tibétaine et plus précisément les drames, que connaissent, au Tibet, les autochtones sauvagement spoliés de leur culture, et, en Inde et au Népal, les réfugiés accueillis par ces pays dans des conditions de vie matérielle et morale souvent précaires. Les responsables organisent des visites régulières des camps et des écoles, qu’elle aide financièrement, visites dont l’une des finalités est de s’assurer que les fonds considérables recueillis sont employés aux fins définies préalablement par tous les partenaires ; c’est aussi l’occasion pour des « sponsors » de rencontrer les enfants et adultes qu’ils parrainent et de ramener des nouvelles et des photos aux parrains et marraines restés en France et attachés à des enfants, à des moines, à des moniales, à des vieillards sans ressource qu’ils aident financièrement et moralement mais que peut-être ils ne rencontreront jamais.
Un voyage de six semaines avait été mis sur pied par les responsables de l’Association, qui à leur tâche de contrôle associaient la visite de sites touristiques culturels et spirituels (les deux en Inde sont liés !).
Mais le voyage et surtout le séjour sur les lieux de travail des responsables de l’A.P.A.C T. étaient trop longs en cette période de non vacances pour que la plupart des participants engagés dans la vie active puissent le suivre dans sa totalité. Deux grandes étapes successives avaient été programmées à partir de Delhi : la première vers le Sud et le Centre du pays en direction du camp de réfugiés de Mainpat, avec sur l’itinéraire quelques escales célèbres : Bénarès, Bodhgaya où le Bouddha réalisa la boddhi sous le figuier et Agra avec le splendide monument élevé par un Maharadja inconsolable à sa Bégum adorée… J’avais élu la seconde étape plus courte, vers le Nord plus frais, en direction de l’Himalaya, avec pour port d’attache Dharamsala et la possibilité de suivre l’enseignement que prodigue à plusieurs reprises dans l’année le Dalaï-Lama.
Dans ce cas aussi, on partait de Delhi avec la perspective un peu traumatisante à l’avance d’une longue étape par des routes qu’on disait plus pittoresques que confortables ! Nous serons quatre femmes à le faire. Je vais tenter de retracer les grandes étapes (Delhi, la route, les séjours dans les contreforts de l’Himalaya, les écoles tibétaines visitées et les rencontres spirituelles qui leur étaient indirectement liées).
LE VOYAGE
Trois heures d’avance à Roissy ; nous y avons couché pour être à l’heure. Longue et lente queue pour la « fouille »; montée dans l’avion, installation. Huit heures à l’allée, un peu plus au retour ; un décalage horaire de quatre heures et demie. L’avion est plein, comme il le sera au retour : environ 450 personnes ;
nourries et distraites comme c’est l’usage sur les longs vols. Je choisis le « menu continental » de préférence à l’indien pour repousser l’échéance annoncée de difficultés digestives… qui de tout le voyage ne se produiront pas. « Le voyage est fatigant, essaie de dormir », m’avait-on conseillé.
J’écarte les écouteurs dont on nous a pourvus et m’installe dans une somnolence si je puis dire active, jetant occasionnellement un coup d’oeil sur le premier film et m’amusant à en reconstituer l’intrigue, une histoire assez mélodramatique qui doit se dérouler à la fin du 19ème siècle en Russie ou en Allemagne – un grand amour, supplications, idylle champêtre, brouille, noyade et désespoir. Je m’endors et me réveille – peu après ?– mais déjà c’est la pénombre au dehors : nous volons à contre-courant du jour et du soleil.
En tout cas c’est un nouveau film – indien celui-là et soustitré en anglais, trop rapidement pour tout saisir, mais qui me permet de suivre l’intrigue sans l’écouter ; c’est un fleuron de Bollywood, avec jeunes premier et première aux mimiques conventionnelles répétitives ; avec des danses collectives dans le genre du music hall anglo-saxon entre les deux guerres.
C’est une introduction pas désagréable au pays qui nous attend – et peut-être même davantage qu’il n’y paraîtrait d’abord par-delà le fil d’une intrigue sentimentale attendue ; encore qu’ici, c’est la fille, journaliste dans un grand quotidien d’une mégapole, peut-être Singapour, qui au cours d’un voyage organisé dans un paysage idylliquement frais et éternel – sans doute l’Inde – rencontre un irrésistible Perceval du prénom de Krisna, avec des yeux verts qui suggèrent des pouvoirs surnaturels et orphelin auprès d’une douce et jeune grand’mère ; brève idylle soumise aux dures lois des itinéraires touristiques ; la Belle repart avec ses copines en autocar mais trouve un prétexte pour attirer son « dulciné » dans sa mégapole ; il y accomplit quelques actions héroïques, mais fuyant une publicité abhorré il reprend le chemin de l’aéroport, quand au passage des passeports – juste à temps – on lui révèle – grâce à cette publicité maudite et sa photo dans la presse – que son sosie de père, un ingénieur informaticien aux pouvoirs sur-rationnels, déclaré de longue date mystérieusement disparu, est bien vivant, séquestré par son ex-patron, un indigne magnat émule affiché de Big Brother parce qu’il – il s’agit du père – avait refusé de mettre ses dons de clairvoyance informatique au service exclusif de ce pervers supérieur hiérarchique. Retrouvailles du fils et du père ainsi que de la journaliste énamourée dans le décor indien idyllique initial auprès de la bonne jeune grand’mère. Je n’ai pas saisi s’il se marièrent et eurent un fils unique.
Le film m’intéresse par ses paysages et ses danses à défaut d’entendre les chants, mais aussi parce qu’il me paraît ouvrir une thématique des plus conventionnelles sur les perspectives d’avenir d’une nation fort avancée sur le chemin de la science, et de la technique, particulièrement informatique. (J’apprendrai plus tard que l’Inde forme un million d’ingénieurs par an, et, récemment, Le Monde annonçait que ce pays projette la mise au point d’un ordinateur qui coûterait cinquante euros). Il me semble découvrir une Inde qui réussit à intégrer tous ses contraires : passé et avenir, tradition et science.